Lorsque j'ai emménagé dans mon présent appartement il y a quelques années, le bloc voisin avait encore une remise: vous savez un hangar-remise-escalier qui allait jusqu'à la ruelle, telle qu'on en voyait à chaque triplex autrefois; en bon québécois, un locker. C'était une ruine, un de ces fameux pièges à feu qui faisaient tant la joie des pyromanes, tout en 2 par 4 vermoulus recouverts de vielles tôles cabossées entre lesquelles on entrevoyait à l'intérieur d'innombrables toiles d'araignées couvertes de poussières et occasionnellement de neige. C'était une relique d'une autre époque, témoin de cette misère crasse du petit peuple des pièces de Michel Tremblay qui disparaît petit à petit de notre inconscient collectif à mesure que les anciens prolos maintenant embourgeoisés s'évertuent à gentrifier leurs anciens quartiers populaires.
J'oublierai jamais le jour où il a été démoli. Je faisais les cent pas dans mon appartement comme un lion en cage, allant de l'écran de télévision au balcon et de retour devant la tévé, ainsi de suite sans cesse. D'un côté j'observais les ouvriers déterminés à démanteler le hangar une poutre à la fois, et de l'autre j'observais une douzaine de tordus déterminés à démanteler la civilisation occidentale un gratte-ciel à la fois. Vous avez probablement tous entendu la vieille platitude, "une de ces journées où l'on se souvient où l'on était"; eh bien c'est ça ma platitude: le 11 septembre 2001 j'étais chez nous et mes voisins faisaient démolir leur hangar. Et chaque fois qu'une tôle tombait, c'était comme si mon monde s'écroulait.
Ça fait maintenant six ans que la civilisation occidentale a disparu, et que l'on vit dans le monde de l'après 9/11. C'était le bon temps: il n'y avait pas de terrorisme, pas de guerre de religions, les fondamentalistes ne faisaient honte ni aux chrétiens ni aux musulmans. Les gouvernements des nations n'étaient pas dirigés par des cliques de fanatiques égocentriques, et n'étaient pas manipulés par des lobbies militaro-industriels psychopathes avides de pouvoir et d'argent. L'on avait pas à vaquer à nos occupations quotidiennes en craignant constamment que la fin du monde pouvait arriver dans les cinq prochaines minutes. Ah, pouvoir revivre de nouveau à cette époque révolue où l'on avait pas cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de chacun d'entre nous.
C'était une époque où il n'y avait pas d'exploitation, pas de criminalité, pas de pauvres et de nantis. Les richesses de la terre étaient distribuées équitablement, et peu importe qu'il coupait de la canne à sucre sur une île des Caraïbes, creusait la terre angolaise à la recherche de diamants ou tissait le coton en Inde, un travailleur pouvait affirmer qu'il était payé selon son mérite. Dans ce nouveau monde où des enfants de huit ans ramassent du café pour 25 cents de l'heure alors qu'un abruti est devenu millionaire en restant assis sur son gros cul à regarder ses serveurs dans le sous-sol de son palace nous bombarder 24 heures sur 24 de pourriels de viagra et d'imbéciles de banquiers en Sierra Leone, on se demande vraiment si ce monde d'avant 9/11 a vraiment existé.
Je crois que le 11 septembre va finir par devenir un jour férié. De la même façon que Noël, à l'origine la fête de la générosité, a un beau jour dérapé vers la fête de l'égoïsme et du matérialisme, le 9/11 qui devrait être l'occasion d'une prise de conscience va finir par devenir la fête du pleurnichage et de la dénégation. Les deux fêtes auraient une chose en commun: chacune va avoir un vieux barbu qu'on va ressortir à chaque année, une espèce de mascotte grotesque symbolisant un idéal et des valeurs auquels ont va se forcer à croire avec plus ou moins de conviction. J'imagine un futur où un rite de passage important pour un enfant va être le jour où il se rend compte qu'il ne croit plus à Ben Laden.
Aujourd'hui mon voisin a passé le rateau dans son jardin. Là où le hangar se dressait, il y a maintenant du gazon, des fleurs et des arbrisseaux; il y a aussi un treillis après lequel s'agrippe du lierre naissant. Je regarde les arbrisseaux en me demandant si le prochain propiétaire ira pas tous raser ça et poser de l'asphalte par-dessus, et prendre l'habitude de l'arroser à tous les jours, question de faire chier le tiers-monde. Mais je préfère croire que ces arbres vont survivre et continuer de pousser longtemps après que les Cheney, Ben Laden et autres sociopathes auront crevé la gueule ouverte, et que cette engeance aura perdu la capacité de se reproduire.
Bon, je vais arrêter ça là, vous allez penser que vous avez cliqué le mauvais lien et êtes tombé sur le site de l'Aut' Journal. Mon prochain post je vais me remettre à déconner à plein tube, je vous le promet.
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