22 septembre 2007

Plus ils sont pressés, moins ils vont vite

J'ai souvent l'occasion de passer sur la piste cyclable du boulevard René-Lévesque, et de traverser l'intersection Papineau. Et c'est inmanquable, y'a toujours un gorleau qui passe sur la fin de la verte, ou même la jaune en espérant que la file sur Papineau avance; résultat, notre génie se retrouve coincé en plein milieu de la rue et bloque toute la circulation sur René-Lévesque. C'est un scénario qui se répète à toutes les intersections à la grandeur de la ville, mais sur celle-là c'est vraiment chronique, à cause de la courte distance entre St-Antoine, René-Lévesque et Ste-Catherine, et aussi à cause du volume de véhicules qui arrive de la 720 et veulent aller sur le pont Jacques-Cartier.

En fait ça se reproduit pratiquement à chaque cycle; je me souviens d'une fois où un de ces grands esprits a bloqué le passage à un dix-huits roues et s'est retrouvé avec le fender du camion tellement collé dans la fenêtre du passager qu'il était obligé de se pencher pour voir le logo Kenworth. Je suis sûr qu'à ce jour ses oreilles bourdonnent encore des suites du concert diesel que lui avait offert les huit mille chevaux du poids lourd contrôlés de main de maître par le routier particulièrement doué dans l'art de tourner le moteur sous compression pour un rendement sonore optimal. À son crédit, je dois dire qu'il a fait preuve d'un sang-froid exemplaire en regardant droit devant lui et en affectant d'ignorer avec soin les quarante tonnes de métal enragé qui se rapprochaient centimètre par centimètre avec des petits soubresauts hystériques et en émettant des chuintements menaçants; à peine ses doigts sont venus un peu plus pâles et sa tête un peu plus enfoncée dans ses épaules quand notre facétieux camionneur a délicatement tiré à deux mains sur le klaxon, faisant ainsi sursauter tout le monde à dix pâtés de maison.

Honk CityBref, un bel après-midi, j'arrive à l'intersection et tout en attendant la verte, je constate qu'encore une fois, la portion de la rue Papineau entre Ste-Catherine et René-Lévesque est pleine, et je regarde l'automobiliste qui attend au coin, convaincu qu'il va s'essayer même s'il a pas de place et qu'il va rester coincé comme un con en plein milieu du boulevard lorsque la lumière va virer rouge; mais à ma grande surprise, et probablement juste pour me contredire il attend sagement que la voie se libère avant de traverser. Pourtant ce n'était sûrement pas l'envie qui devait lui manquer; il y a quelque chose de quasiment contre-nature dans l'acte de rester sans bouger en voyant une lumière verte; peut-être qu'il y avait des feux de circulation à l'ère jurassique et que la mémoire nous est restée plantée dans un recoin de notre cerveau reptilien: "vairre avanse. rouje arraîte. ugh." (il devait pas y avoir de jaune, parce qu'on semble jamais savoir quoi faire quand on en voit une: crisse les brakes, crisse le gaz..)

L'automobiliste qui le suivait semblait beaucoup plus déterminé à céder à ses instincts primaires: il klaxonnait et vociférait en faisant des grands gestes enjoignant le conducteur devant lui à avancer est verte tabarnak tu vois ben qu'est verte allume crisse. C'est un fait scientifiquement prouvé, Homo Sapiens voit son Q.I. baisser de 30 points la minute qu'il se retrouve avec un volant dans les mains; dans le cas de notre zygoto, ça avait plus l'air de 60 points. Peut-être qu'il était inquiet de voir descendre le taux de stupidité ambiante en voyant l'autre refusant d'avancer et qu'il se sentait obligé d'être imbécile pour deux question de conserver la moyenne; heureusement personne d'autres aux alentours ne s'est mis à agir avec un bon sens manifeste, parce que je vois mal comment il aurait pu s'arranger pour compenser pour un troisième. Des plans pour qu'il sorte de son char en aboyant et se mette à zigner sur la jambe de quelqu'un.

Lorsque le feu a changé, la file avait pas bougé et s'ils avaient avancé, les deux conducteurs se seraient ramassé en plein milieu du boulevard à faire face au concert habituel de klaxons. Je suis reparti en regardant la file, puis le zigneux en arrière, puis la file, comme ça trois ou quatre fois; j'ose espérer qu'il a catché le sens de mon regard, mais je suis pas trop optimiste. J'imagine qu'il est allé se venger plus loin en bloquant la rue Ste-Catherine.

12 septembre 2007

Histoire d'une démolition

Lorsque j'ai emménagé dans mon présent appartement il y a quelques années, le bloc voisin avait encore une remise: vous savez un hangar-remise-escalier qui allait jusqu'à la ruelle, telle qu'on en voyait à chaque triplex autrefois; en bon québécois, un locker. C'était une ruine, un de ces fameux pièges à feu qui faisaient tant la joie des pyromanes, tout en 2 par 4 vermoulus recouverts de vielles tôles cabossées entre lesquelles on entrevoyait à l'intérieur d'innombrables toiles d'araignées couvertes de poussières et occasionnellement de neige. C'était une relique d'une autre époque, témoin de cette misère crasse du petit peuple des pièces de Michel Tremblay qui disparaît petit à petit de notre inconscient collectif à mesure que les anciens prolos maintenant embourgeoisés s'évertuent à gentrifier leurs anciens quartiers populaires.

J'oublierai jamais le jour où il a été démoli. Je faisais les cent pas dans mon appartement comme un lion en cage, allant de l'écran de télévision au balcon et de retour devant la tévé, ainsi de suite sans cesse. D'un côté j'observais les ouvriers déterminés à démanteler le hangar une poutre à la fois, et de l'autre j'observais une douzaine de tordus déterminés à démanteler la civilisation occidentale un gratte-ciel à la fois. Vous avez probablement tous entendu la vieille platitude, "une de ces journées où l'on se souvient où l'on était"; eh bien c'est ça ma platitude: le 11 septembre 2001 j'étais chez nous et mes voisins faisaient démolir leur hangar. Et chaque fois qu'une tôle tombait, c'était comme si mon monde s'écroulait.

Ça fait maintenant six ans que la civilisation occidentale a disparu, et que l'on vit dans le monde de l'après 9/11. C'était le bon temps: il n'y avait pas de terrorisme, pas de guerre de religions, les fondamentalistes ne faisaient honte ni aux chrétiens ni aux musulmans. Les gouvernements des nations n'étaient pas dirigés par des cliques de fanatiques égocentriques, et n'étaient pas manipulés par des lobbies militaro-industriels psychopathes avides de pouvoir et d'argent. L'on avait pas à vaquer à nos occupations quotidiennes en craignant constamment que la fin du monde pouvait arriver dans les cinq prochaines minutes. Ah, pouvoir revivre de nouveau à cette époque révolue où l'on avait pas cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de chacun d'entre nous.

C'était une époque où il n'y avait pas d'exploitation, pas de criminalité, pas de pauvres et de nantis. Les richesses de la terre étaient distribuées équitablement, et peu importe qu'il coupait de la canne à sucre sur une île des Caraïbes, creusait la terre angolaise à la recherche de diamants ou tissait le coton en Inde, un travailleur pouvait affirmer qu'il était payé selon son mérite. Dans ce nouveau monde où des enfants de huit ans ramassent du café pour 25 cents de l'heure alors qu'un abruti est devenu millionaire en restant assis sur son gros cul à regarder ses serveurs dans le sous-sol de son palace nous bombarder 24 heures sur 24 de pourriels de viagra et d'imbéciles de banquiers en Sierra Leone, on se demande vraiment si ce monde d'avant 9/11 a vraiment existé.

Je crois que le 11 septembre va finir par devenir un jour férié. De la même façon que Noël, à l'origine la fête de la générosité, a un beau jour dérapé vers la fête de l'égoïsme et du matérialisme, le 9/11 qui devrait être l'occasion d'une prise de conscience va finir par devenir la fête du pleurnichage et de la dénégation. Les deux fêtes auraient une chose en commun: chacune va avoir un vieux barbu qu'on va ressortir à chaque année, une espèce de mascotte grotesque symbolisant un idéal et des valeurs auquels ont va se forcer à croire avec plus ou moins de conviction. J'imagine un futur où un rite de passage important pour un enfant va être le jour où il se rend compte qu'il ne croit plus à Ben Laden.

Aujourd'hui mon voisin a passé le rateau dans son jardin. Là où le hangar se dressait, il y a maintenant du gazon, des fleurs et des arbrisseaux; il y a aussi un treillis après lequel s'agrippe du lierre naissant. Je regarde les arbrisseaux en me demandant si le prochain propiétaire ira pas tous raser ça et poser de l'asphalte par-dessus, et prendre l'habitude de l'arroser à tous les jours, question de faire chier le tiers-monde. Mais je préfère croire que ces arbres vont survivre et continuer de pousser longtemps après que les Cheney, Ben Laden et autres sociopathes auront crevé la gueule ouverte, et que cette engeance aura perdu la capacité de se reproduire.

Bon, je vais arrêter ça là, vous allez penser que vous avez cliqué le mauvais lien et êtes tombé sur le site de l'Aut' Journal. Mon prochain post je vais me remettre à déconner à plein tube, je vous le promet.
(parodie) Annonces iglou iglou iglou

Quoi, vous en voulez encore?