26 septembre 2010

Vous voulez devenir maître du monde?

Vous avez l'intention de fonder une société secrète et de prendre le pouvoir absolu? Voici une liste partielle des embûches que vous aurez à affronter:

Le principe SNAFU – L'acronyme signifie "situation normal: all fucked up"; à l'origine concocté durant la 2e Guerre Mondiale par des soldats en passe de sarcasme, il raillait autant le penchant de l'Armée pour les acronymes que l'état d'inconscience de la situation sur le terrain que les soldats croyaient percevoir chez le haut-commandement. Le principe Snafu stipule que la communication n'est possible qu'entre pairs, puisque les supérieurs ont tendance à récompenser les subalternes qui leur disent ce qu'ils veulent entendre au lieu de la vérité. Il s'ensuit donc une progressive disconnection de la réalité chez les décideurs, un effet qui s'accumule avec chaque échelon de la hiérarchie. Ainsi, un foutoir complet va progressivement se faire embellir par chaque palier hiérarchique jusqu'à devenir un succès assuré arrivé au sommet. Lorsque l'inévitable désastre s'ensuit, les supérieurs se défendent en disant qu'ils ont été mal informés et s'arrangent pour faire porter le chapeau à leurs subalternes. Cet effet est particulièrement marqué dans les hiérarchies rigides où les membres sont choisies principalement d'après leurs allégeances plutôt que leurs capacités.

Le théorème des cinq singes – Il est plus souvent question de cinq, mais quelques versions utilisent six, ou douze – le nombre importe peu en fait. Vous mettez les singes dans une cage, au milieu de laquelle vous placez une échelle, et au sommet de cette échelle vous suspendez une banane au plafond. Dès qu'un singe s'approche de l'échelle, vous saisissez un boyau et bombardez la cage d'eau glacée; au bout d'un moment, non seulement les singes ne tentent plus de grimper dans l'échelle, mais tous rouent systématiquement de coups quiconque s'en approche. Vous remplacez un des singes. Le nouveau va naturellement vouloir aller chercher la banane, ce qui lui vaudra une douche d'eau glacée servie avec une généreuse portion de baffes de singe. Très vite il aura appris la consigne; à ce moment vous remplacez un autre singe et le processus se répète. Éventuellement vous aurez remplacé tous les singes originaux; aucun des singes présents dans la cage n'a jamais reçu le traitement du boyau, et aucun d'entre eux n'est probablement même pas au courant de son existence. Malgré tout, vous pouvez être certain qu'ils maintiendront la politique dictant de laisser la banane tranquille. Vous pouvez même ranger le boyau: si un des singes se mettait en tête de grimper en haut et de redescendre avec la banane, il pourrait compter sur un robuste comité d'accueil pour lui rappeler le règlement. Cette parabole illustre le conservatisme sclérosé qui affectent les organisations au fil du temps, où les traditions, règlementations, politiques et procédures continuent d'être appliquées longtemps après qu'elles soient rendues complètement caduques, surtout si l'organisation est ancienne: "Je ne sais pas pourquoi ont fait ça, mais c'est ce qu'on a toujours fait, alors c'est ce qu'on va faire"

Le principe de Peter – Du nom de son concepteur, le dr Lawrence Peter, ce principe stipule que dans toute hiérarchie, chaque membre a tendance à s'élever à son niveau d'incompétence. Une organisation typique va promouvoir ceux de ses membres qui se distinguent; à force de monter en grade, ceux-ci finissent par atteindre un échelon pour lequel ils sont maintenant incompétents, soit parce qu'ils ont franchi leur seuil de compétence, soit parce que le nouveau poste exige des connaissances différentes que leurs précédentes charges. Éventuellement, à peu près tous les postes finiront par être occupés par des incompétents, et le peu de travail qui s'accomplira sera réparti parmi les quelques exceptions.

Le principe de Dilbert – Inventé par Scott Adams, le créateur du comic strip Dilbert, ce principe relance le principe de Peter en stipulant que les incompétents seront systématiquement promus directement à des postes de gestion, sans passer par les étapes intermédiaires, afin de les mettre hors d'état de nuire pour que les compétents puissent travailler en paix. Ce principe expliquerait pourquoi les entreprises et gouvernements regorgent d'employés inutiles passant leurs journées à assister à des meetings insignifiants, à rédiger des mémos superflus et à glander sur des sites de clavardages une heure sur deux.

l'effet Dunning-Kruger – D'après une expérience menée par Justin Dunning et David Kruger à l'université Cornell, qui ont fait subir des tests d'aptitudes à leurs sujets, pour ensuite leur demander de prédire le résultat. Le principe se manifeste par un biais qui nous empêche d'évaluer correctement nos capacités: les gens sous-doués vont avoir tendance à sur-évaluer leur talent, tandis que les surdoués vont se sous-évaluer. Peu importe le domaine, une connaissance limitée empêchera un individu de prendre conscience des limitations de ses connaissances; à la base on pourrait dire que le principe Dunning-Kruger est une démonstration de catch-22. En un mot et comme je le dis souvent, le problème avec les idiots, c'est qu'ils sont trop stupides pour prendre conscience de leur condition d'imbécilité.

Le syndrome du Monopoly – D'après le jeu de Parker Brothers, une théorie que je suis en train d'inventer à mesure. On a à peu près tous joué à Monopoly dans notre jeunesse, et on se croit tous expert. Au moins au Québec, dans la plupart des foyers se trouve un exemplaire du jeu, souvent fort usagé; les coins de la boîte sont défaits, le plateau est séparé en deux, il manque des maisons et hôtels et ceux qui restent ont été rongés par le chien, les billets de banque ressemblent à des chiffons J,... mais il y a une pièce du jeu qui reste toujours pratiquement intacte, le livret de règlements. Tout le monde est expert dans le jeu, tout le monde en est une autorité suprême mais jamais personne ne prends la peine de consulter l'ostie de manuel. Les institutions sont bourrés de gens pour qui prendre la peine de consulter la documentation est comme une admission de défaite, une tache à leur orgueil, parce qu'ils préfèrent se raccrocher à la notion qu'un petit ange vient les visiter à chaque nuit pour leur murmurer à l'oreille les secrets de l'univers. Confier un nouvel équipement à ces gens là est une gageure périlleuse.

Tous ces principes interragissent entre eux: ainsi les incompétents sont réfractaires aux changements, surtout dans la mesure ou ceux-ci les obligerait à réviser la documentation, ce qui les pousserait à prendre conscience à quel point ils sont déconnectés de la réalité, ce qui leur est impossible étant donné qu'ils sont justement déconnectés de la réalité et ne comprennent finalement que dalle à ce qui se passe autour d'eux; et nonobstant tout ceci ces taches s'arrangent pour se retrouver à des postes de gestion.

N'importe qui qui a déjà essayé d'organiser une sortie d'école, un comité de quartier quelconque, ou ne serait-ce qu'une campagne de Dungeons & Dragons a certainement eu affaire à ce phénomène, et s'est rendu compte à son grand découragement qu'empêcher les tapons de faire partie du groupe n'est pas aussi simple qu'il n'y parait. Les tests d'aptitudes, les entrevues, les enquêtes peuvent aider, mais le népotisme, le chantage, la petite politique de bureau, la tricherie ou même la bête chance vont réussir malgré tous vos efforts à faire introduire un nombre substantiel d'épais trop épais pour réaliser qu'ils sont épais, et à partir de là le problème ira en s'aggravant, à plus forte raison lorsque l'un d'entre eux réussira à se faire mettre en charge du recrutement, des tests d'aptitudes, des entrevues...

Si vous voulez devenir maître du monde et pensez à former une organisation secrète, c'est ce monstre que vous aurez à combattre. Comment vous allez vous arranger pour recruter des milliers de subalternes fanatiquement dévoués sans qu'un seul crétin réussissent à s'y frayer un chemin, ou même à être mis au courant question qu'il ailles tout raconter preuves en main, c'est une maudite bonne question et si vous savez la réponse, ne vous gênez surtout pas pour me le faire savoir, je suis impatient de connaître votre plan.

11 septembre 2010

Le 24 décembre

Si je vous dis John Hinkley jr, est-ce que ça vous dis quelque chose? Le nom vous est familier, mais vous êtes pas certain? Maintenant, si je vous dis Lee Harvey Oswald... ah oui, pas mal plus connu, non? Vous avez naturellement tous reconnu l'assassin de JFK, mais j'imagine par contre que ceux d'entre vous qui ont replacé l'agresseur de Reagan font partie de la minorité. Ce qui me frappe, c'est que les deux ont accompli le même geste, et devraient donc bénéficier autant de notoriété; la seule différence réelle est que l'un a réussi alors que l'autre a raté. Et pourtant des deux seul Oswald peut être considéré comme un household name.

C'est vrai pour le public en général, et ça semble également le cas pour les milieux conspirationnistes: s'il est à peu près impossible de tourner un coin de rue sans se prendre les pieds dans une théorie de la conspiration sur l'assassinat de Kennedy, il faut chercher pour en trouver une sur la tentative de Hinkley sur le président Reagan en 81. Google nous renvoie 2 millions de résultats, mais la pertinence des liens proposés tombe en flèche dès la page quatre. Pourtant, ce n'est pas faute d'éléments suspects et de coïncidences étranges, à commencer par le fait que Hinkley provenait d'une famille proche des Bush: considérant que George H.W. Bush était à l'époque vice-président, et qu'advenant la mort de Reagan il se serait vu catapulté président, sérieusement, le scénario ne s'écrit-il donc pas de lui-même? On serait en droit de s'attendre à au moins un film d'Oliver Stone là-dessus, et des librairies regorgeant de livres à succès nous offrant moults "révélations-choc" basées sur des "preuves jusqu'alors inconnues" nous dévoilant enfin la "vraie histoire" derrière cette "tragédie historique". Dans la réalité, si 70% des américains affirment encore dans les sondages croire à la thèse du complot dans l'assassinat du président John F. Kennedy, je suis sûr que si on leur posait la même question au sujet de Reagan, 70% d'entre eux répondrait "aucune idée". Et je soupçonne fortement les rares qui s'y intéressent de le faire uniquement parce que les Bush y sont impliqués; la conspiration contre Reagan ne semble en fait représenter qu'un appendice dans l'interminable saga du 911 truthing.

Encore plus fort: en 1994, quatre extrémistes algériens détournent un vol d'Air France dans le but de perpétrer un attentat suicide sur Paris, vraisemblablement en crashant l'avion sur la Tour Eiffel. Les terroristes ont échoué dans leur plan, surtout parce qu'ils ont fait l'erreur de faire escale au lieu d'aller directement vers leur cible. Ce n'est pas rien: on parle ici carrément d'un 11 septembre avant l'heure, le WTC remplacé par la Tour Eiffel, Ground Zero sur les Champs de Mars. Imaginez un instant qu'ils aient réussi: imaginez le choc, le traumatisme, pensez aux réactions (je vois d'ici Bill Clinton déclarant solennellement: "aujourd'hui nous sommes tous français"). Essayez de visualiser Balladur, "l'axe du bien et du mal", "vous êtes pour nous ou contre nous", l'attentat servant de prétexte à une invasion de l'Algérie – non, ça n'a aucun sens, les terroristes étaient algériens; disons le Maroc. Ou la Belgique à la rigueur (Aucune raison, c'est juste pour faire rire les français. Pour une raison quelconque les français partent toujours à rire quand on mentionne la Belgique).

Il ne fait aucun doute qu'on aurait été témoin de l'événement majeur de la décennie, voire même de la seconde moitié du 20e siècle, le genre qui définit une génération complète, dont tout le monde dirait que c'est un événement dont on se souvient où on était et qu'est-ce qu'on faisait lorsqu'il s'est produit. Dans cet univers parallèle, il suffit de dire "24 décembre" pour déclencher le robinet à émotions.

Et il ne fait aucun doute non plus qu'il aurait engendré toute une panoplie de thèses divergeant de la version officielle, toute une culture de la conspiration accusant tout le monde et sa grand-mère d'avoir participé à l'attentat. Dans l'état actuel des choses toutefois, si quelqu'un quelque part s'est amusé à concocter une théorie de complot qui accuserait le gouvernement français d'avoir orchestré une inside job, il doit pas l'avoir mis sur internet, parce que j'ai rien trouvé.

Peut-être est-on en train d'entrevoir un aspect fondamental de la psychologie particulière du conspirationniste. Il faudrait être naïf jusqu'à la bêtise pour croire qu'il n'y a pas de conspiration; il semble que la compulsion à comploter contre son prochain soit une part intégrale de la nature humaine. Des employés qui bavassent dans le dos de leur supérieur immédiat dans le but inavoué de lui voler son poste, à aller jusqu'aux groupes extrémistes fomentant des coups d'état, la vie autant que l'histoire regorge de complots et de conspirations réussies ou pas, et elles ont inspiré nombre d'auteurs et de dramaturges. L'habitude de la conspiration est inscrite en lettres indélébiles dans notre inconscient collectif.

Mais ces conspirations ordinaires ne sont pas suffisantes pour le conspirationniste; il doit passer au niveau supérieur pour impressionner ses proches, il a besoin de la Conspiration des conspirations, LE complot séculaire, universel, pénultime, qui contrôle tout. Franc-maçonnerie, Illuminati, Bildeberg, trilatérale, ordre cosmoplanétaire des lézards du Temple de Zurich, cercle des fermières de St-Loin-les-creux, tout ça et plus fait partie d'un grand Plan Universel.

Il devient évident à la réflexion qu'il serait impossible pour de simples humains d'organiser un tel monstre: on parle ici d'une supra-organisation regroupant tout ce que la société humaine compte de puissants, et qui s'est arrangé au cours des siècles pour contrôler le monde sans se faire remarquer, tout en réussissant le tour de force d'éviter de tomber victime du principe de Peter, du Snafu principle, du théorème des cinq singes, de ce navrant exercice de mesquinerie et de médiocrité que l'on surnomme "petite politique de bureau", en bref de tous ces cancers organisationnels qui affligent toutes les organisations et hiérarchies et les transforment en ces monstres affligeants, bouffis et ridicules, et alourdis de ces pantins incompétents, carriéristes et fondamentalement inutiles qui pullulent dans toutes les entreprises et gouvernements, et qui finissent par dégénérer en ces bureaucraties pachydermiques qui sont la plaie de nos sociétés et que l'on connaît trop bien.

On a clairement affaire à des individus bien au-dessus de la moyenne, que ce soit au niveau de l'intelligence, de la détermination et surtout du dévouement inconditionnel à une cause commune. Le genre de personne – voire de créature – qui aurait par exemple évité d'avoir affaire à quatre écervelés susceptibles de commettre une erreur tactique aussi grossière que d'atterrir avec un avion détourné, se mettant ainsi à la merci des forces de l'ordre. Le genre aussi qui voulant former le plan d'assassiner un président, se serait probablement débrouillé pour trouver mieux qu'un hurluberlu armé d'un .32 acheté dans un pawn shop qui a tiré six balles à bout portant et s'est quand même débrouillé pour manquer sa cible à chaque fois, ne devant d'avoir atteint le président qu'à un ricochet chanceux sur le pare-choc de la limousine.

Il n'y a pas grand mérite à démasquer des complots ourdis par des débiles et fatalement voués à l'échec; cherchez "pape conspiration" dans Google et vous aller trouver plus de pages sur la mort de Jean-Paul I que sur la tentative d'assassinat sur Jean Paul II; je suis certain que le résultat serait différent si Ali Ağca n'avait pas raté sa cible. Pour le conspirationiste toujours à la recherche d'estime personnelle, il est beaucoup plus gratifiant d'élucider les complots d'organisations séculaires composés de supra-génies, et encore plus fort de publier ses trouvailles sur internet en toute impunité, sans crainte de représailles de la part de ces hyper-puissants: "ce sont les plus grands cerveaux de tous les temps, mais je suis plus malin qu'eux".

Ne reste plus qu'aux conspirationnistes qu'à prendre le pouvoir, s'ils sont si malins; n'est-ce-pas leur fantasme secret de toutes façons?
(parodie) Annonces iglou iglou iglou

Quoi, vous en voulez encore?