1 juillet 2010

Ça déménage!

Je ne sais pas si au Québec on a pris l'habitude de tous déménager le 1er juillet pour nous donner une excuse de pas fêter le Canada Day, mais toujours est-il qu'on est tous passé par là à un moment ou l'autre. De la Gaspésie à l'Abitibi, en passant par Montréal et nos célèbres escaliers en zig-zag qu'on aime tant à part le jour de l'année où l'on est pogné pour monter l'ostie de frigidaire dedans, partout dans la province les camions loués, pick-ups empruntés à un ami et fourgonnettes réquisionnées à la compagnie ou travaille le beau-frère sillonnent les routes ponctués d'une symphonie qui se compose d'alertes de recul, du cliquetis des caisses de 24 qu'on a tu donc hâte d'ouvrir rien qu'un peu, et des "pogne ton bord, m'a t'nir le balant" de ces mononc' bien serviables mais pas toujours futés. Si il y a belle lurette que j'habite au même endroit, il y a déjà eu une époque où je changeais d'appart' sur une base annuelle, et tous mes déménagements se sont à peu près conformés au scénario classique. Tous sauf le plus récent.

Tout d'abord, il n'y avait pas d'escaliers spirales; en fait il n'y avait pas d'escaliers du tout, alors qu'autant l'immeuble de départ que celui de destination étaient munis d'ascenseurs. Ensuite, tous les meubles étaient munis de roulettes; de plus, le déménageur avait modifié un fauteuil roulant électrique pour s'en faire un genre de robot pousse-meubles. C'était génial, il n'y avait qu'à pousser des boutons sur une télécommande pour que le frigidaire, le poêle, la laveuse-sécheuse se laissent pousser sans effort aucun. Les étagères et armoires étaient pour leur part conçues selon un système modulaire; elles pouvaient êtres démontées et servir de boîtes d'emballages. Bref, on aurait dit que notre migrateur avait lu un livre sur l'art japonais du self-management et que ça l'avait profondément marqué.

On serait en droit de penser que l'entreprise fût des plus aisées, mais bizarrement ça n'a pas été vraiment le cas. Notre nomade était demeuré dans la tradition sur un point en invitant tout ce qu'il avait de parents et amis, ce qui fait qu'on était 10 pour l'aider. On anticipait naturellement tous de se faire payer la traite en pizza et en bière comme c'est la coutume mais vous savez comment ça marche, il n'y a que ceux qui participent qui sont admis au party. Et c'est là que les problèmes ont commencé.

Déjà, dix pour faire la job de un, vous aurez compris qu'on se battait pour la télécommande; mais en plus, il y avait la problématique du zélé. Si vous avez participé à un déménagement, vous savez de qui je parle: l'oncle, beau-frère ou connaissance du cousin qui veut tout faire: il a quelque chose à se prouver, et tient absolument à monter et descendre tous les objets pesants, porte les boîtes presqu'en courant et est toujours le premier à descendre du camion pour aider le conducteur à reculer. Ah mais c'est qu'il est en mission le chevalier du frigidaire, le croisé à la strappe, parcourant le monde à la recherche de déménagements afin de montrer à la face du monde à quel point il est travaillant et serviable. En plus des efforts exigés par le poids du frigidaire à descendre, vous devez aussi ajouter l'effort de tenir ce maniaque à distance, alors qu'il insiste pour tenir son coin même s'il est évident qu'il ne réussit qu'à se mettre dans votre chemin «T'es-tu capable? Veux-tu que je l'pogne? Veux-tu que je m'en occupe? C'est beau, m'a m'en occuper. T'es tu correct? Tasse-toé, je vas le prendre». À tout les déménagements il y en a un, un gars tellement aidant qu'il est dans les jambes de tout le monde.

Vous vous imaginez bien qu'il s'est littéralement jeté sur la télécommande et ne voulait plus la lâcher, et rejetait toute idée d'instaurer un quelconque système d'alternance: il la tenait, c'était sa manette et il la gardait coûte que coûte. "Je donnerai pas ma place!", semblait-il se dire. Par conséquent, on se grattait pas mal tous la caboche pour trouver de quoi s'occuper. Un se mît à compter des boîtes: il comptait, étiquettait, cataloguait dûment toutes les boîtes en créant de savants spreadsheets sur son portable. Un autre se mis à raconter des blagues et à chanter pour motiver tout le monde. Un quatrième se planta dans l'entrée du building pour s'employer conscientieusement à la tâche de tenir la porte, en y mettant toute sa technique et son ardeur au travail; c'était une tâche capitale qui demandait beaucoup de savoir-faire — du moins s'arrangeait-il pour que ça le semble.

À partir de là, les idées ont commencé quelque peu à manquer, et on se mettait à lorgner la position du chef de la télécommande avec envie; mais il n'y avait rien à faire pour le déloger, et il menaçait même de partir avec les piles si on lui prenait la télécommande. Quant au teneur de porte, il s'organisait pour téter d'aplomb le déménagé afin d'être certain d'obtenir non seulement sa part de pizza mais une part extra. En fait, tout le monde voulait de la pizza et de la bière et exigeait des quantités franchement ridicules, bien au-delà de ce que l'on était capable d'ingurgiter; tout le monde y compris le flanc-mou qui s'était présenté avec la ferme intention de moocher un max — celui-là aussi il est de tous les déménagements.

On était donc dix, dont quatre seulement qui travaillaient; un cinquième s'ajouta alors qu'il entreprît de compter, calaloguer, étiquetter, comptabiliser dûment les boîtes en créant de savants spreadsheets sur son portable qui contredisaient tous les savants spreadsheets du premier gestionnaire en herbe. Bientôt ils se répartirent les tâches: l'un fût chargé de corriger les erreurs de l'autre, tandis que l'autre fût chargé de le fournir en erreurs; de temps en temps ils inversaient les rôles.

Éventuellement je me suis mis à en avoir un petit peu mon voyage de ce cirque, et je m'étais planté dans un coin sans rien foutre en annonçant à qui voulait l'entendre que si quelqu'un avait besoin d'un coup de main il avait qu'à le demander mais d'ici là allez donc chier avec vos niaiseries. Évidemment il y en a qui le prenaient mal, particulièrement le teneur de porte qui était outré de devoir partager de la pizza – dont on avait comme je le mentionnais précédemment au moins trois fois trop – lui qui travaillais si dur à tenir sa porte. J'avais beau lui faire remarquer qu'au final il glandait autant que moi et que je pourrais très bien le remplacer – même qu'il aurait très bien pu se faire remplacer par une brique pendant qu'on y était – mais il n'en démordait pas; la pizza était réservée à ceux qui se rendaient utiles, et lui se considérait utile.

Alors qu'on croyait que la situation ne pourrait possiblement pas sombrer plus loin dans le ridicule, vînt le moment où le camion se trouva rempli et le temps où il fallait aller porter un premier voyage; c'est là qu'on s'est tous regardé en se rendant compte avec horreur que personne n'avait de permis de conduire; le teneur de porte en profita immédiatement pour lancer une observation des plus pertinentes: "au lieu de rien faire, vous devriez vous arranger pour prendre des cours de conduite". Et c'est comme ça que malgré d'avoir été 10 fois trop nombreux pour l'ouvrage à faire on s'est quand même arrangé pour s'inventer une pénurie de main d'oeuvre.

S'il y en a qui s'imagine que j'ai tout inventé, vous avez absolument raison, il n'y a rien de vrai dans cette histoire. Il n'y a en fait rien de crédible: personne n'est aussi con dans la vrai vie, s'pas?

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