13 décembre 2006

L'équipée sauvage

Il y a une publicité qui tourne de ce temps ci, je sais pas si vous l'avez vu; c'est au sujet de je ne sais plus quel VUS, et le thème c'est "si on tournait toujours à gauche, où est-ce que ça nous mènerait?", et on y voit des petits-bourgeois partir à la bohème avec force sourires béats et cheveux au vent à la découverte de sites enchanteurs et inaccessibles, en tournant toujours à gauche. Ça m'a inspiré, et j'ai décidé de tenter l'expérience: moi aussi je veux faire comme les cravates et me prendre pour un explorateur de la frontière sauvage.

Évidemment j'ai pas vraiment les moyens de me payer un Rav4 – ou c'était tu un Murano? Crisse, ils se ressemblent tous – déjà que juste m'acheter un pneu pour mon vélo va mettre mon budget sur la corde raide, mais qu'à cela ne tienne, j'irai à pied. Pas de carte, pas de bagages, au petit bonheur et à la fortune du pot: on part tu à l'aventure ou ben on part pas? Voici donc le compte-rendu de cette formidable expédition, que je vous décrirai au jour le jour.

JOUR 1: On tourne à gauche! – C'est aujourd'hui qu'a vraiment débuté mon aventure, alors que j'ai entamé mon premier virage à gauche. Déjà les difficultés commencent alors que je suis acueilli par le climat hostile du pays; par ici, le temps alterne entre il vient de pleuvoir, il va pleuvoir, et il pleut. J'entreprends de remonter le cours de la rue Cuvillier, l'esprit aux aguets. Flaques d'eau infranchissables, crottes de chien tapies dans la pénombre, les dangers ne manquent pas pour le voyageur imprudent.

JOUR 1: À gauche toute! – Mon expédition prends un tournant sous le signe de la témérité alors que je m'engage résolument dans la ruelle longeant au sud de la rue Adam: sortons des sentiers battus! Ici les flaques sont plus nombreuses et plus profondes; le silence est pesant, oppressant, entrecoupé seulement par les rumeurs de lointaine circulation apportées par le vent, ainsi que par les rythmes primitifs d'une musique rudimentaire martelée par les subwoofers d'une tribu de casquettes célébrant quelque rite barbare dans la cour arrière de leur triplex. Je presse le pas, inquiet des légendes racontant les effets débilitants sur le cerveau humain de ces mélopées issues d'esprits incultes et atrophiés.

JOUR 1: Prends à gauche! – Je descends maintenant le cours de la ruelle entre Cuvillier et Davidson. J'ai eu le privilège d'assister à un événement rarissime, alors que les nuages grisâtres jusque là omniprésents se sont quelque peu écartés afin de laisser pointer un timide rayon solaire. La lumière blafarde qui envahit soudainement la ruelle confère au paysage un aspect surréaliste, alors que les rares pousses de gazon ça et là se dressent fiévreusement afin de profiter de la moindre parcelle d'ultraviolets à se mettre sous la dent. Au loin, quelques enfants courent vers leurs habitations en poussant des piaillements, terrorisés par la "grosse boule de feu dans le ciel". Le phénomène est toutefois fort éphémère, et la nature a tôt fait de reprendre ses droits alors que les nuages reviennent en force pour replonger le décor dans la pénombre. Décidément, je suis au pays où habite la pluie.

JOUR 1: Toujours à gauche! – J'ai atteint le confluent de la ruelle au nord de Sainte-Catherine. Ici, je suis au fin-fond de la brousse, au coeur du Hochelaga-Maisonneuve profond encore intouché par la gentrification galopante qui a envahi le quartier par le nord au cours des dernières années. C'est dommage que l'on ne soit pas au printemps, alors que la fonte des neiges, les déguerpissements de locataires et le manque total de civisme des habitants du coin transforment à chaque année la ruelle en un décor de zone sinistrée digne de Katrina ou des pires tsunamis. Mais même sans les montagnes d'immondices printanières, le paysage garde son aspect frustre: ces clôtures branlantes, ces escaliers et balcons vermoulus, ces cours asphaltées dont les fissures laissent poindre quelques misérables pissenlits et touffes de chiendent, ces triplex éventrés par d'anciens incendies aux fenêtres placardés de plywood moisi, tout nous rappelle la sauvagerie encore vierge de ce quartier peuplé de travailleuses autonomes, de maisons de chambres et de bars karaoke miteux. J'aperçois au loin une tribu d'indigènes criant "les pantalons rouges sucent!" ou quelconque autre cri de guerre. Je décide de presser le pas avant qu'ils ne décident de venir me taxer ma casquette des Expos, ce qui me forcerait à les abattre; je préfère éviter la confrontation, car je me répugne à tuer des animaux.

JOUR 1: Et enc... oui, c'est ça, à gauche. – De retour à un semblant de civilisation, alors que j'émerge de la ruelle pour m'engager de nouveau sur Cuvillier. Mon coeur bat la chamade en anticipant toutes les folles aventures qui ne manqueront pas d'arriver. Quelles découvertes fascinantes vais-je encore faire? Homa, la dernière frontière.

JOUR 1: Oui, bon, on a compris. – Il semble bien que mon expédition est arrivée à terme un peu prématurément: je suis en train de remonter l'escalier qui mène à mon appartement. Je suis franchement déçu: en tournant toujours à gauche j'étais censé découvrir un tombeau de pharaon aztèque au coeur de la toundra amazonienne. J'ai dû me tromper quelque part, pourtant j'ai bien fait comme dans l'annonce. Peut-être qu'ils se sont trompés, et qu'il faut toujours tourner à droite. Mais non, je déconne, je vais juste refaire le même chemin en sens inverse.

C'est donc ben niaiseux c't'annonce-là. Quand tu tournes toujours dans le même sens, tu tournes en rond, c'est tout. Ah, ces cravates...

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